• Dodo et enfants du monde

      ET AILLEURS, COMMENT DORMENT LES ENFANTS ?
    (article :
    Sophie Elusse // magasine : Grandir Autrement n° 47 . Juillet - Août 2014)

    Partager le sommeil de son enfant et répondre à ses besoins, de nuit comme de jour, semble être la pratique la plus répandue à travers le monde. En effet, quelles que soient les croyances et les traditions, les soins apportés à l’enfant et l’attitude que les adultes adoptent envers lui visent, dans la plupart des sociétés, à être à l’écoute de ses besoins tout en l’intégrant pleinement à la vie sociale.


    Selon l’ethnologue Marcel Mauss, il y a deux types de société : celle des « gens à berceaux(1) » et celle des « gens sans berceaux(2) », les premiers se situant principalement dans l’hémisphère nord, les seconds dans l’hémisphère sud. Les sociétés sans berceaux ont fait du portage et du cododo une pratique courante. Elles recourent parfois à des solutions intermédiaires de type hamac ou autre tissu suspendu, ce qui permet de maintenir les bébés à l’abri des dangers comme le feu, les animaux ou les insectes.


    ° Au Sénégal, le nouveau-né demeure de un à trois mois au contact de sa mère exclusivement. Il dort ensuite dans un double pagne sur le dos de sa mère dans la journée et dans le lit de ses parents la nuit ou sur une natte à proximité. Son second pagne, qui ne le quitte jamais, l’enveloppe jour et nuit. C’est un gage de protection. Contrairement au premier pagne, qui sert uniquement au portage et dans lequel sont portés tous les enfants d’une même fratrie jusqu’au sevrage, le second pagne est la propriété exclusive d’un enfant et personne d’autre que lui n’a le droit de l’utiliser. Il sert à doubler le premier pagne au moment du portage mais aussi à envelopper l’enfant et à le couvrir lorsqu’il dort.


    ° En Algérie, la mère s’isole avec son enfant et le laisse prendre le sein jusqu’à ce qu’il soit profondément endormi. Les bercements et les berceuses sont aussi utilisés comme techniques d’endormissement, seules ou associées au sein. On berce le bébé sur les genoux, dans les bras ou dans son berceau, on lui tapote doucement le dos. On ne laisse pas un enfant pleurer, y compris et même surtout la nuit, car on estime qu’il ne pleure jamais sans raison. Le portage, dans les bras ou sur le dos, fait aussi partie des rituels d’apaisement de même que le massage pour aider l’enfant à se relaxer et à s’endormir. Il vise à détendre les muscles pour préparer l’enfant au sommeil, mais c’est aussi un moment d’échanges durant lequel la mère parle à son enfant tout en le massant. L’emmaillotement est également utilisé comme technique d’apaisement. Il a pour but de reposer les épaules, soulager la tension des muscles, apaiser les coliques (à l’aide de bandes de tissu chauffées) et répondre au besoin de l’enfant d’être enveloppé, contenu, comme dans le ventre maternel.


    ° Au Brésil, la mère et son enfant sont en contact corporel quasi permanent. Le bercement est beaucoup utilisé : dans les bras, sur le corps même de la mère, dans le hamac et ce, pas uniquement pour l’endormissement mais aussi lorsque le bébé est éveillé, au moment des soins corporels, dans les phases d’échanges, de jeux, etc. Là non plus, on ne laisse pas un bébé pleurer, on répond aussitôt à ses besoins, de jour comme de nuit. Le hamac est une pièce centrale du mobilier brésilien. Il fait à la fois fonction de lit et de fauteuil. La position courbée qu’y adopte le corps est particulièrement propice au repos car elle rappelle celle du fœtus dans l’utérus maternel. Contrairement au berceau, le hamac bouge dans tous les sens, si bien qu’il est en mesure de reproduire les mouvements mêmes du corps humain. De plus, il peut accueillir la mère et son enfant. L’enfant est donc bercé sur le corps de sa mère, à l’intérieur du hamac, au moins durant les premiers mois de sa vie, avant d’y être installé seul. « De cette façon, le passage du corps de la mère, en tant que “support primordial du corps de l’enfant”, au hamac, se fait progressivement. Petit à petit le hamac va jouer le rôle d’“enveloppe de suppléance des bras maternels”. Cela assure au nouveau-né une transition douce de la vie intra-utérine, où il était bercé par les mouvements de la mère, à la vie extra-utérine(3). » Les adultes continuent souvent à dormir dans le hamac, ou au moins à s’y reposer, si bien qu’en quelque sorte, ils se bercent toute leur vie.


    ° En Argentine, les berceaux sont aussi conçus pour pouvoir accueillir à la fois la mère et son enfant, qui, de ce fait, demeurent en contact jusqu’à ce que l’enfant s’endorme. En outre, les Argentins, qui sortent beaucoup le soir, n’hésitent pas à emmener leurs enfants avec eux et il est courant de voir des enfants dormir au beau milieu de l’agitation ambiante des nombreux bars et restaurants qui restent ouverts tard le soir, ce qui, selon James McKenna « est de loin préférable à de strictes routines ». En effet, cela permet de « valoriser son enfant en l’intégrant à la vie qu’on mène. […] Pour l’enfant, il ne s’agit là que d’une des composantes d’un ensemble de relations au monde, à ses parents et à lui-même, qui font de lui ce qu’il est et ce qu’il deviendra(4). »


    ° Au Japon, toute la famille occupe généralement la même chambre. Cette pratique du sommeil partagé, issue d’une longue tradition, a probablement été renforcée et maintenue par le manque de place, mais aussi du fait de la croyance populaire, très ancrée dans la société nippone, de l’enfant-trésor, considéré comme sacré, appartenant encore aux divinités jusqu’à l’âge de 7 ans. Plusieurs tatamis disposés les uns contre les autres permettent de dormir à proximité les uns des autres. L’enfant est souvent endormi dans les bras de sa mère, ou sur ses genoux ; elle s’allonge près de lui sur le tatami et lui o.re le sein ; parfois elle lui tapote le dos tout en chantant, jusqu’à ce qu’il s’endorme. L’enfant dort au contact de sa mère jusqu’à la naissance d’un autre bébé ou jusqu’à ce qu’il émette de lui-même le désir de s’éloigner, en général vers 5-6 ans.


    ° En Inde, l’enfant est accueilli comme un dieu et honoré comme un hôte. La structure familiale, souvent élargie aux grands-parents, oncles et tantes, favorise la disponibilité de tous aux besoins du tout-petit. Jusqu’à l’âge de 7 ou 8 ans, son éducation se caractérise par l’indulgence à son égard. On ne laisse jamais pleurer un enfant. Son besoin fondamental d’être porté et tenu est immédiatement pris en compte. Le berceau traditionnel, que l’on retrouve dans la plupart des foyers, est constitué d’une pièce de tissu, le plus souvent un sari ayant appartenu à la mère, suspendue à un crochet. Il peut se substituer aux bras maternels à certains moments de la journée. Le corps de l’enfant y est contenu et enveloppé. Les stimulations rythmiques (bercements, tapotements) sont très présentes dans les techniques d’apaisement et d’endormissement. Les bébés sont aussi beaucoup portés par tous les membres de la famille, enfants compris. Le soir, au moment du coucher, la mère reste auprès de son enfant. Il s’endort tout contre elle, couché sur une natte posée au sol. En Inde, les enfants ne dorment jamais seuls. À la naissance d’un autre enfant, c’est une grand-mère, une tante ou un aîné qui prend le relais de la mère pour accompagner l’enfant dans le sommeil.


    Ces différentes approches montrent l’importance accordée à l’enfant et la prise en compte globale de ses besoins fondamentaux, dont la proximité dans le sommeil fait partie, dans la plupart des sociétés. Si nous avons, dans notre hémisphère, perdu ces réflexes archaïques pendant un temps, les pratiques associées au maternage proximal tendent à redonner toute son importance à cette réassurance dans le sommeil des premières années.

     


    (1)Sociologie et anthropologie, Marcel Mauss, Éditions Presses universitaires de France (1950)
    (2)Ibid
    (
    3)Les rituels du coucher de l’enfant – Variations culturelles, Sous la direction d’Hélène E.Stork, ESF éditeur (1993)
    (4)Directeur du Laboratoire d’étude du comportement nocturne mère-bébé de l’Université Notre-Dame (Indiana), cité dans Comment les Eskimos gardent les bébésau chaud, Mei-Ling Hopgood, Éditions JC Lattès (2013)


    Lien vers l'article :  http://www.grandirautrement.com/fr/client/document/ga47_07_dossier_36-37_240.pdf

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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